Montréal

Voici un texte écrit par M. l'abbé Marcel Lessard afin de souligner Jeanne Le Ber. Elle fut la première confinée volontaire de Ville-Marie.

En cette terre où une marguerite s’épanouit depuis plus d’un siècle (de Marguerite Bourgeoys à Marguerite d’Youville), Jeanne l’intrépide mène des combats sur tous les fronts1 . Connaissez-vous Jeanne Le Ber ? Son nom nous dit quelque chose comme celui d’une ‘vieille fille’ qui a voué sa vie à la prière. C’est un faible point de départ duquel nous partirons. Cette ‘vieille fille’ est la deuxième enfant d’une famille de cinq. Elle est née le 4 janvier 1662. Elle a un frère aîné, Louis, et trois cadets, Jacques, Vincent et Pierre. Sa maman se nomme Jeanne Le Moyne mariée à un riche commerçant de Ville-Marie, Jacques Le Ber.

La petite famille est très religieuse et installe leur foyer sur la rue Saint-Joseph (qui deviendra rue Saint-Sulpice) face à l’Hôtel-Dieu. Sa marraine est Jeanne Mance qui vient de fonder un hôpital et d’accueillir trois Hospitalières de Saint-Joseph pour lui prêter mains fortes. Elle n’a pas bien connu son parrain, Paul Chomedey, qui a quitté la colonie quand elle avait à peine trois ans. Voilà maintenant le portrait d’une petite fille heureuse et énergique. Sa famille va emménager bientôt sur la rue Saint-Paul dans une maison adjacente à celle de son oncle Charles Le Moyne et de sa tante Catherine Primot.

C’est une  famille de onze cousins et de trois cousines (deux sont décédées en bas âge) qui partagent leurs jeux bruyants dans la joie et parfois dans la peine d’une vie familiale. Nous pouvons imaginer la jeune Jeanne jouer à la guerre avec son cousin Pierre Le Moyne dans la maison, en plein hiver, entre les draps blancs étendus à sécher… De cinq mois sa cadette, elle nourrira une saine complicité et belle tendresse avec le guerrier et l’explorateur qui deviendra le Sieur d’Iberville. Mais l’éveil de son intelligence et de sa conscience lui apporte son lot de questions et de curiosités. Dès l’âge de cinq ans, elle traverse la rue pour aller prendre une collation avec sa marraine et les autres hospitalières de l’Hôtel-Dieu. Puis il y a sa tante Marie Le Ber, devenue Ursuline, qui l’accueillera au Séminaire des Ursulines à Québec quand son papa l’amènera à douze ans. L’adolescente crée aussi une complicité profonde avec   sa tante qui a la réputation d’être une bonne pédagogue et une excellente brodeuse.

Revenue à la maison familiale vers l’âge de quinze ans, elle poursuivra l’apprentissage des travaux ménagers avec sa maman. Sa marraine est décédée depuis quatre ans et elle reste amie avec les Religieuses ses voisines. Elle devient une jolie jeune femme comme on dit ‘un bon parti’ : jolie, en bonne santé, autonome et bien nantie. Son père espère bien la marier avec un jeune bourgeois de la place. Mais un secret se développe dans son cœur. Elle sent que Dieu lui réserve une ‘bonne part qui ne lui sera pas enlevée’ (Luc, 10 :42). Vers l’âge de dix-huit ans elle confie à ses parents le désir bien spécial qui mûrit dans sa vie intérieure.

Elle se sent appelée à une vie totalement consacrée à Dieu par le silence et la prière perpétuelle. Elle sent l’appel à devenir une recluse, rien de moins! Avec la permission de monsieur François Séguenot, son directeur de conscience qu’elle avait connu à Québec, elle prononce des vœux de chasteté et de réclusion pour cinq ans. Alors que la ville dort encore, la recluse peut sortir tôt le matin pour aller à la messe. Les journées passent à la prière, aux travaux de broderie et de couture, et à la lecture. Peu à peu, sa réputation de femme vertueuse et priante se répand dans le petit bourg de Ville-Marie. On lui confie des intentions de prières pour des guérisons, des transactions financières et des protections militaires devant les autochtones et les Britanniques. Son rôle est souvent comparé à celui de Sainte Geneviève aux portes de Lutèce (Paris) inquiétée par les Huns2  .  Elle est désormais appelée ‘l’ange de Ville-Marie’. 

Ayant contribué à la construction d’une chapelle pour le couvent des ‘filles séculières’ de la Congrégation de Notre-Dame, elle obtient la faveur de faire construire un réclusoire ouvrant une fenêtre sur le chœur et le tabernacle de la chapelle. Elle pourra y emménager le 5 août 1695, en la fête de Notre-Dame-des-Neiges. Après une cérémonie à l’église, présidée par monsieur Dollier de Casson, une procession s’ébranle vers son réclusoire qui fermera à tout jamais les portes derrière elle. Désormais, elle passera ses nuits à adorer Celui qu’elle qualifiera être ‘sa pierre d’aimant’. Elle, elle en sera de la sorte la ‘lampe du sanctuaire’ se consummant d’amour devant son Seigneur. Elle décède le 4 octobre 1714 à l’âge de 52 ans, après 34 années de réclusion et de prière contemplative. La jeune colonie est bouleversée de perdre la prière d’intercession de celle qu’on appelait ‘l’ange de Ville-Marie’. L’éloge funèbre que prononcera monsieur François Vachon de Belmont propose à nos prières le modèle de vertu et de la dévotion mariale que laisse Jeanne Le Ber.

En ce temps de pandémie, nous remercions la bienveillance généreuse de nos ‘anges gardiens’ sur terre : reconnaissance humaine toute légitime. Mais n’oublions pas de tourner   nos regards vers celle qui implore Marie de continuer à veiller sur ‘sa’ ville. Elle demeure toujours ‘l’Ange de Ville-Marie’ pour nous aujourd’hui. La tombe de Jeanne Le Ber est dans la nef de la Chapelle de Notre-Dame-de-Bonsecours : nous pourrons bientôt lui rendre visite pour nous confier encore à sa prière d’intercession.

 

Marcel Lessard, prêtre

Voici une prière en temps de pandémie, écrite par Mme Johanne Biron


1- Deroy-Pineau, Françoise, «Jeanne Le Ber, le recluse au cœur combats », Montréal, éd. Bellarmin, 2000, 193 pages
2.   Gallo, Max. « Geneviève de Paris. Lumière d’une sainte dans un siècle obscur » Paris, éd. XO, 2013, 152 pages.