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Il y a vingt ans, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Aujourd’hui, la société québécoise reste néanmoins marquée par d’importantes inégalités socio-économiques. Celles-ci se sont même creusées depuis l’entrée en vigueur de la loi, en mars 2003.

 

Source - evequescatholiques.quebec

Selon Statistique Canada de 2004 à 2019, le revenu moyen des 10 % les plus riches a augmenté de 23,4 % le revenu moyen des 10 % les plus pauvres n’a augmenté que de 4,6 %

L’Église de Dieu qui est au Québec a pris part de plusieurs façons au mouvement populaire ayant mené à l’adoption de cette loi historique3. Nous sommes aujourd’hui conviés à interpeller et à sensibiliser à nouveau le gouvernement et la société civile afin que cette loi soit appliquée de façon plus généreuse et englobante. Avec le temps, il semble que ce soient moins la pauvreté et l’exclusion sociale qui seraient disparues de notre horizon collectif, que l’idée même d’une possibilité et d’une volonté de les éliminer ! En solidarité avec les organismes communautaires qui luttent pour et avec les personnes appauvries, ranimons la soif de justice sociale à l’origine de ce projet d’élimination de la pauvreté, afin qu’il devienne véritablement notre projet de société : « que le droit jaillisse comme une source; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais4 ! »

Cette soif de justice sociale nous renvoie directement à l’Ancien Testament, où il est écrit : « il n’y aura pas de pauvres chez toi5. » Selon le texte, la condition de cette absence à venir est l’écoute attentive de la Parole de Dieu et la mise en pratique complète du commandement de justice et de charité6.

Ce commandement exige non seulement d’offrir une aide directe aux personnes dans le besoin (la charité au sens courant du terme), mais aussi de s’assurer que les lois et les structures sociales (comme celles qui encadrent l’endettement, par exemple, dont les modalités de la remise des dettes) ont pour effet d’accroître la justice dans notre société. Faute de respecter cet appel exigeant, « il ne cessera pas d’y avoir des pauvres au milieu du pays7 ». Ce constat pragmatique ne signifie pas qu’il ne faut pas lutter contre la pauvreté, bien au contraire : il fonde plutôt le devoir de venir en aide aux pauvres et aux malheureux, tant par l’aide directe que par l’action solidaire en vue du changement social.

Lorsque Jésus reprend cette parole biblique, à Béthanie, en affirmant que « des pauvres, vous en aurez toujours avec vous8 », il réactualise ce commandement de solidarité. Avec le pape François, entendons ce passage évangélique comme un rappel du devoir de donner, mais aussi et surtout comme un appel à se faire proches des personnes appauvries, comme le Christ l’a fait, et donc à toujours les inclure parmi nous, à être et à marcher avec elles, afin de faire advenir une société juste et fraternelle, préfiguration du Royaume de Dieu9. Les personnes appauvries nous évangélisent puisqu’en allant à leur rencontre, c’est aussi le Christ Jésus que nous rencontrons, prélude à une conversion profonde de notre être et de notre agir10. Nous en avons la confirmation dans les témoignages des chrétiennes et des chrétiens qui se sont engagés et qui s’engagent au nom de leur foi en solidarité avec les personnes appauvries, dans une optique de changement systémique, que ce soit dans leur travail, dans un milieu de vie ou dans le cadre d’un mouvement social plus large.

À l’occasion du 1er mai, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, et fête de saint Joseph-ouvrier, nous souhaitons porter à l’attention de toutes les personnes de bonne volonté les effets importants de la situation économique actuelle sur les conditions de vie des personnes appauvries.

La hausse des prix heurte de plein fouet, et de façon plus importante, les familles et les personnes seules qui sont déjà dans des situations socio-économiques difficiles11, dont des membres des communautés autochtones12 et des travailleuses et travailleurs au statut migratoire précaire, dans toutes les régions de la province. Les effets de la pandémie de la Covid-19 et les formes de la relance ont par ailleurs rendu les femmes, et plus spécifiquement les mères de famille, plus vulnérables face à l’inflation13. Dans ce contexte où il devient de plus en plus coûteux de se loger, se nourrir, se vêtir et se déplacer, le nombre de demandes d’aide auprès des banques alimentaires a bondi de 33 % depuis 2019 au Canada14.

En réponse à cette situation, le gouvernement du Québec a versé une aide d’urgence de 6 M $ aux banques alimentaires en décembre 202215. Si elles sont nécessaires, de telles aides ponctuelles ne sauraient toutefois être suffisantes pour transformer en profondeur le système économique qui fait perdurer la pauvreté et l’exclusion sociale. Des politiques axées sur les effets différenciés de l’inflation sur les personnes les plus vulnérables doivent être envisagées. En ce sens, nous apportons notre appui, par le présent message, à la campagne de solidarité pour l’élargissement de l’accès au programme québécois de Revenu de base, entré en vigueur le 1er janvier 2023. Toutes les personnes assistées sociales devraient y avoir accès16. Les chrétiennes et les chrétiens de tous les âges et de toutes les provenances sont invités à lire, méditer et discuter le présent texte, seul et en groupe, puis à redoubler d’efforts pour travailler pour et avec les personnes dans le besoin, car « face aux pauvres, on ne fait pas de rhétorique, mais on se retrousse les manches et on met la foi en pratique par une implication directe qui ne peut être déléguée à personne.17 »

POUR ALLER PLUS LOIN

DES QUESTIONS

  • Que puis-je faire, dans ma paroisse ou ma communauté, pour contribuer à réduire les impacts de l’inflation sur les personnes appauvries ?
  • Quel organisme communautaire, quel mouvement social puis-je soutenir, dans ma municipalité ?
  • Suis-je en mesure de participer à une manifestation nationale ou de signer une pétition pour exiger que l’élimination de la pauvreté devienne un véritable projet collectif au Québec ?
  • Comment puis-je contacter les personnes élues dans ma circonscription et ma région pour les sensibiliser à l’importance de travailler pour et avec les personnes appauvries ?
  • De quelles autres façons puis-je approfondir la dimension sociale de ma foi chrétienne ?

UN OUTIL DE FORMATION

PARCOURS AMOS - Devenir solidaires, agir ensemble ! est un outil de formation à l’analyse et à l’action sociale pour les adultes, créé en partenariat par
l’Office de catéchèse du Québec, le Centre justice et foi et le conseil Église et Société de l’AECQ. 

Les outils d’animation sont disponibles gratuitement en ligne.

Afin d’en savoir plus, contactez votre diocèseou M. Simon Labrecque, secrétaire du conseil Église et Société.

slabrecque@evequescatholiques.quebec

 


1. Livre des Proverbes 28,27, traduction de l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones (AELF).
2. Collectif pour un Québec sans pauvreté, Une question de droit ! Examen critique de l’application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale à l’occasion de son 20e anniversaire, 12 décembre 2022, p. 20.
3. Voir, notamment, les messages du 1er mai du Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec pour les années 1995, Pour en finir avec la pauvreté des femmes, et 2000, Éliminer la pauvreté, c’est possible et nous le voulons. Ces messages ont été écrits en réponse et en soutien aux mobilisations et aux actions de sensibilisation des réseaux québécois de la pastorale sociale, dont le Carrefour de pastorale en monde ouvrier (CAPMO), le Centre de pastorale en milieu ouvrier (CPMO) et la Conférence religieuse canadienne – section Québec (CRC-Q).
4. Livre d’Amos 5,24 (AELF).
5. Livre du Deutéronome 15,4, traduction œcuménique de la Bible (TOB). Ce passage a donné son titre au message du 1er mai 2019, dans lequel l’Assemblée des évêques catholiques du Québec appuyait la campagne 5-10-15 du Collectif pour un Québec sans pauvreté.
6. Livre du Deutéronome 15,5.
7. Livre du Deutéronome 15,11.
8. Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 26,11; Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 14,7; Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 12,8 (AELF).
9. François, « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous », message pour la Ve journée mondiale des pauvres, 13 juin 2021.
10. Gérard Laverdure, Du dépannage à la justice sociale. Un parti pris pour les exclus, Montréal, Fides, 1995.
11. Pierre-Antoine Harvey et Minh Nguyen, « L’inégalité face à l’inflation. Une croissance du coût de la vie selon les revenus des familles », Note socioéconomique, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, 17 juin 2020; Éric Desrosiers, « Tous inégaux devant l’inflation », Le Devoir, 7 janvier 2022.
12. La Presse canadienne, « Statistique Canada : l’inflation a un effet sur les dépenses dites nécessaires », 7 mars 2023
13. Francis Hébert-Bernier, « Inéquitable, la relance économique rend les femmes vulnérables à l’inflation », Pivot, 3 juin 2022.
14. Radio-Canada, « Demande record dans les banques alimentaires au Canada, dit un rapport », ICI Radio-Canada, 27 octobre 2022.
15. Agence QMI, « Une aide d’urgence de 6 M $ versée aux banques alimentaires, frappées par l’inflation », Journal de Québec, 11 décembre 2022.
16. Virginie Larrivière et Serge Petitclerc, « Toutes les personnes assistées sociales devraient avoir le Revenu de base », Le Devoir, 31 janvier 2023.
17. François, Jésus Christ s’est fait pauvre à cause de vous, message pour la VIe journée mondiale des pauvres, 13 juin 2022, no 7.