Général

Une surprise nous attendait à la réunion de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) qui s’est déroulée du 23 au 27 septembre dernier. Le « réseau des survivants abusés par des prêtres » connu sous le nom de SNAP avait organisé la projection du documentaire Prey (« Proie »), le jeudi soir, à la salle de cinéma de Cornwall. Il s’agit d’un film relatant un procès qui fait la lumière sur les comportements abusifs de feu Hod Marshall, prêtre basilien reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement des mineurs.

J’ai vu le documentaire Prey pour la première fois à Toronto, en avril dernier, lors de la première. Mike, un survivant d’abus sexuels du clergé, m’y avait invité. Il avait communiqué avec moi peu de temps après la condamnation de l’un de nos prêtres pour abus sexuel à Montréal. Mike avait vu mon nom circuler dans la couverture médiatique entourant ce jugement.

Voir Prey, ça n’a pas été pour moi regarder un simple film. Plus de 200 personnes ont assisté à la projection au TIFF Theater, y compris des victimes d’abus sexuels par le clergé, leurs familles et d’autres personnes associées à ces causes. Avec Mike et sa femme, on a partagé nos récits respectifs au dîner. Au restaurant, des gens sont venus à notre table pour saluer Mike, des visages que j’ai rapidement reconnus en voyant le documentaire. J’ai compris que c’était plus qu’un film : j’avais là la chance de partager le vécu d’une communauté de survivants.

Étant donnée le sujet traité, Prey est évidemment difficile à regarder. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’entendre des choses bouleversantes, sinon désagréables, durant la projection. Je n’ai pu cependant nier l’authenticité présentée si crûment à l’écran; il y avait des scènes relatant des traumatismes, des moments chargés de colère, mais aussi d’espoir. J’ai essayé d’ouvrir mon cœur à tout ce qui nous était révélé. C’était, selon moi, la seule façon de saluer ce moment.

À la fin de la première, il y a eu une période de questions brève, mais intense. Mike m’a présenté à l’auditoire et certaines personnes ont immédiatement réagi très négativement. Une femme a formulé des commentaires sarcastiques à mon endroit et sur d’autres évêques; une autre a demandé la raison de ma présence. En toute honnêteté, je comprends : cette première soulevait en quelque sorte le voile sur un monument destiné à des personnes ayant survécu à de terribles crimes, et je suppose que les personnes présentes ne voulaient pas nécessairement voir un évêque à cette occasion.

Au moment où je quittais la salle de cinéma, un vieil homme de 80 ans du nom de Bob s’est approché de moi pour me faire part de ses réflexions et de ses profondes blessures. Son propre fils avait été victime de Hod Marshall. Sur le coup de l’émotion, il semblait chercher ses mots, mais il m’a dit être fier de son fils; il a parlé de la façon dont sa foi dans l’Église avait été trahie. Je ne pouvais que me taire et écouter.

Cette invitation me donnait aussi l’occasion de participer à la réception qui a suivi. J’ai pu alors interagir avec plusieurs autres spectateurs et avoir avec eux, calmement, des conversations sérieuses. Bob est revenu me voir et nous avons pu alors parler plus longuement. Il s’agissait, de toute évidence, d’un homme instruit ayant du vécu. Ces paroles exprimaient un sentiment de perte et de chagrin, mais elles étaient aussi très profondes et réfléchies.

En octobre, lorsque la nouvelle projection de Prey a eu lieu durant la plénière de la CECC, j’ai eu l’occasion de faire part de mon expérience aux évêques. Cinq d’entre eux ont assisté à la projection. Comme l’a dit un évêque, « nous voulions saluer l’invitation ». Compte tenu de l’expérience que j’avais vécue, je savais que ce serait plus qu’un simple film. Nous étions invités au récit d’expériences vécues.

Je suis heureux que nous y soyons allés. Après la projection, nous avons eu l’occasion de parler aux organisateurs. Nous avons entendu le profond désir de guérison et de renouveau, mais au-delà de cela, des liens humains ont été tissés. Pour les évêques présents, les « survivants d’abus sexuels par des membres du clergé » ne relevaient pas simplement de l’imaginaire; ils avaient devant eux des personnes en chair et en os. Parler devenait possible. J’ai renoué avec des gens que j’avais rencontrés à Toronto et j’ai engagé de nouvelles discussions.

Selon moi, il apparaît clair que le dialogue doit se poursuivre. Ne vous y trompez pas : les conversations seront provocatrices. Les personnes ayant survécu aux abus sexuels du clergé ne se satisferont pas de platitudes et de simples garanties que « les choses bougent ». Ils ne le devraient pas. Comme évêques, il nous faut faire des pieds et des mains pour trouver.

Personnellement, je rêve que l’Église soit plus qu’un simple endroit sûr pour nos propres enfants. Des sévices, il y en a partout, et les catholiques occupent une présence mondiale. Nous avons là une occasion unique de nous porter à la défense des victimes d’abus. Or, cela exigera de nous, comme évêques et comme Église, de continuer à tirer de pénibles leçons et à mettre de l’ordre dans notre maison. Les survivants peuvent apporter une aide. Au moment de quitter le lieu de projection de la première à Toronto, Bob m’a salué en me disant : « Nous ne sommes pas des personnes frivoles. » Elles ne le sont de toute évidence pas. Faisons en sorte de les prendre au sérieux.

 


Évêque auxiliaire,
Archidiocèse catholique romain de Montréal