Montréal

Voici l’homélie prononcée par l'archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine lors du dimanche de la Miséricorde Divine (19 avril 2020) – à la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde.

Dieu Saint! Dieu fort! Dieu éternel! Prends pitié de nous. 

En cette pandémie dans laquelle nous sommes toujours plongés, nous implorons la miséricorde divine. Cette fête de la Miséricorde divine est un temps particulier. Non seulement pour prier la miséricorde divine, mais pour lui confier l’humanité toute entière. 

Cette pandémie se manifeste à la fois comme un combat, une épreuve pour l’humanité, mais aussi pour notre humanité. Elle se présente comme un combat inhabituel, étonnant, qu’on a à peine commencé à découvrir. Normalement lorsqu’on parle de guerre, ce sont des jeunes qui s’en vont au front et de leurs parents qui sont au foyer à s’inquiéter pour le sort de leurs enfants. Dans la pandémie que nous vivons, toutes les générations sont exposées et vulnérables, mais les aînés le sont particulièrement. Le plus grand pourcentage de décès a lieu parmi eux. Ce sont les aînés qui sont au front et leurs enfants au foyer, en confinement, s’inquiètant pour eux, souffrant pour eux, souffrant avec eux. Ils sont dans la peine de ne pas pouvoir être avec eux dans les moments où ils sont malades et peut-être aussi à la fin de leur vie. Alors c’est un combat un peu surréaliste, un peu irréel qui nous mobilise tout entier, qui mobilise toute notre personne, mais en même temps qui mobilise toutes les personnes.

Probablement qu’en ce moment, tout le monde voudrait être médecin, infirmière, préposé au bénéficiaire, portier d’une résidence, pour se rapprocher des aînés qui sont exposés et en danger. Et probablement qu’une des souffrances que l’on vit tous est que, soit nos parents sont malades,   soit tout simplement le fait de se sentir impuissant, parce que nous nous sentons tous concernés. Que nos parents soient malades, peut-être déjà décédés, en confinement eux aussi mais en santé,  nous nous sentons tous concernés au niveau même de notre humanité dans cette peine que nous vivons. Nous prenons conscience davantage, nous le savions, mais nous  prenons davantage conscience que nous avons vraiment tous la même humanité. Même s’il s’agit de la peine d’un autre qui souffre de voir ses parents malades et exposés ou en fin de vie, nous ressentons pour nous-mêmes cette souffrance et non seulement dans le sens que nous la comprenons, mais cette souffrance devient la nôtre. 

Le psaume du Bon Berger me parle du berger qui prend soin de ses brebis et qui nous guide sur les ravins de la mort. Que sont les ravins de la mort? Les ravins de la mort c’est là où plus personne ne peut nous rejoindre. C’est là où nous sommes seuls. Seul avec nous-même, seul devant la mort. Mais le Bon Berger, le Bon Pasteur, le Seigneur Jésus, qui a porté toutes nos souffrances, nos péchés et toutes nos morts sur la croix et qui est ressuscité, a le pouvoir. Le pouvoir de se faire proche. Tout proche de chaque être humain, lorsque cet être humain est aux ravins de la mort. Et dans ce sens-là notre action peut nous porter au front, comme médecin, infirmière, préposé. Mais notre action peut être aussi de se retrouver sur le front de la prière. Est-ce que la prière est un front réel? Quand on est en train de prier Dieu, on est en train de se battre. On est en train de se battre pour les personnes qui sont seules sur les ravins de la mort. 

Ce temps que nous vivons est un temps peut-être pour découvrir toute l’ampleur que peut avoir l’action humaine, et de voir que nous sommes impuissants pour la plupart d’entre nous. Mais en même temps la prière ouvre nos horizons. La prière rend possible de tout confier, de tout remettre entre les mains de Jésus miséricordieux. La prière nous permet de croire que, dans la douleur, Jésus Christ a le pouvoir de visiter ce malade que nous ne pouvons pas visiter. Jésus Christ a le pouvoir de se rapprocher du cœur de notre père, de notre mère, de notre grand-père, de notre grand-mère qui est malade alors que nous sommes loin. Trop loin. On ne voit pas comment on pourrait se rapprocher, c’est impossible. Mais Jésus Christ a ce pouvoir. Et certainement que notre prière peut ainsi avoir plusieurs dimensions. Et nous allons, tout à l’heure dans la prière universelle, évoquer différentes dimensions de cette prière. 

Notre prière dans un premier temps peut être pour les malades eux-mêmes, pour les personnes en fin de vie pour qu’elles sachent que Dieu ne les abandonne pas. Non seulement Dieu ne les abandonne pas, mais si elles se trouvent seules sur les ravins de la mort, ce n’est pas parce que nous les abandonnons, c’est parce que nous sommes dans l’impuissance et nous faisons tout ce que nous pouvons par l’action immédiate d’être sur le front du combat contre la maladie, du service de la vie, dans l’action de soutenir ceux qui sont au combat. Parce que c’est aussi le rôle d’une société de soutenir ceux et celles qui sont au combat. Par notre propre combat par la prière qui ouvre, qui nous ouvre la possibilité de soutenir et les malades et tous ceux et celles qui sont sur le front du service à la vie, du service immédiat et concret des malades. 

Donc prier c’est prier pour le malade, pour la personne malade elle-même, c’est prier pour ceux et celles qui sont sur le front pour en prendre soin, c’est prier pour que la société se mobilise toute entière pour pouvoir soutenir de mille façons les malades et ceux qui s’en occupent. C’est prier pour les gouvernements pour qu’à travers cette épreuve qui frappe tout le monde et où on se sent démuni, que le combat se fasse, que la mobilisation se fasse dans un esprit de solidarité et de paix sociale.

C’est un combat spirituel pour l’Église toute entière, pour ceux et celles qui croient en Dieu, pour confier toute l’humanité à Dieu.

C’est un combat pour l’humanité elle-même pour qu’au-delà de nos différences, de cultures, de nations, de croyances, nous redécouvrions que nous sommes tous frères et sœurs en humanité, que nous avons tous la même humanité. 

Et c’est dans ce sens-là que c’est un combat, mais en même temps c’est une épreuve de notre humanité. C’est une occasion pour notre humanité. Une épreuve c’est une occasion. Une épreuve c’est un couteau à deux tranchants.  Ou ça nous amène à nous replier sur nous-mêmes, à chercher à nous en sortir seul peut-être, par soi-même. Ou ça nous amène à nous ouvrir aux autres et non pas à s’en sortir, « je » vais m’en sortir, mais à chercher à s’en sortir, à surmonter, c’est « nous » allons nous en sortir. Nous allons nous en sortir. C’est un combat local, mais c’est aussi un combat mondial. Nous allons nous en sortir. Nous allons nous soutenir. Et nous allons partager les ressources, nous allons nous entraider. Nous allons prier, tous ensemble, quels que soient nos horizons. Nous allons méditer, nous allons faire silence, nous allons nous recueillir.

Prenons cette journée pour nous confier à la Miséricorde de Dieu, et pour nous en remettre à Lui. Notre vie se trouve à être entre la Miséricorde de Dieu et la Providence de Dieu. Dieu miséricordieux nous comble de sa miséricorde, et en même temps il est toujours présent. Il vient nous soutenir, il vient nous donner sa vie, il vient nous guider sur le chemin de la vie. Il vient mettre dans notre cœur des élans de confiance, de générosité et de magnanimité, d’humilité. 

Nous vivons un temps où les puissances de ce monde et nos puissances, nos forces à nous, nous font découvrir la limite de nos puissances. On découvre la limite de nos puissances scientifiques, de nos puissances économiques, de nos puissances étatiques. On découvre la limite de nos solidarités familiales lorsqu’on n’arrive plus à être solidaire, à se faire proche de quelqu’un de notre famille en fin de vie. On découvre nos limites. Cette épreuve de nos limites peut devenir un temps de découragement. Mais ça peut être aussi un temps de croissance, parce que ça peut être un temps où en s’ouvrant à Dieu, on apprend à redécouvrir combien Dieu est présent et combien il se tient à la porte de notre cœur et combien on peut tout lui offrir, toute épreuve, toute peine, mais aussi cette Covid-19 et cette peine dans laquelle nous sommes.

Alors prenons un temps de recueillement et confions notre situation, l’humanité toute entière, nos familles, les personnes frappées par la Covid, les personnes qui sont malades et dont les opérations ont été reportées, toutes les personnes qui décèdent en ce temps mais pour d’autres raisons que la Covid-19. Confions l’humanité toute entière à Dieu, à Jésus Miséricordieux. Dieu Saint! Dieu fort! Dieu éternel! Prend pitié de nous et du monde entier.