Montréal

J’imagine que je n’ai pas besoin de vous expliquer pourquoi, avec Anne Élizabeth et Jean-Marie, nous avons choisi cette page d’Évangile, parmi tous les passages de la Bible, pour évoquer la vie et l’œuvre de Jean Lapointe. 

La parabole du Bon Samaritain qu’on vient d’entendre est devenu le symbole universel de ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité : la compassion, la bienveillance, l’aide gratuite donnée à une personne en difficulté, qu’on ne connaît même pas. 

Je ne la connais pas, mais ce n’est pas grave… cet homme, cette femme, cet enfant dans le fossé, c’est mon frère, ma sœur en humanité… c’est mon enfant. Alors, je m’arrête, je fais le détour, je me penche, je prends soin. Je sauve une vie. 

Combien de fois, par combien de chemins, avec combien de complicités amicales, Jean Lapointe aura été un bon samaritain pour nous? Est-ce qu’on peut compter ceux et celles qu’il va avoir aidé, directement ou indirectement, à sortir du fossé de la dépendance, de la toxicomanie, de l’alcoolisme? Jean Lapointe, le bon Samaritain, qui a même fondé il y a 40 ans, la Maison qui porte son nom, qui nous fait bien penser à l’hôtellerie de la parabole.

Bon Samaritain aussi, plus doucement sans doute, quand il nous embarquait sur sa guitare et dans ses chansons, pour nous sortir du trou de nos grisailles, de nos blues… et nous faisait comprendre qu’il y a un soleil derrière chaque nuage.

Oui, bon Samaritain, Jean Lapointe : homme généreux qui a donné beaucoup, sans rien attendre en retour.

Mais je voudrais aller un peu plus loin avec mon idée. Parce que ça ne paraît peut-être pas, mais il y a une sorte de révolution dans ce passage de l’Évangile, une révolution dont notre société a bien besoin aujourd’hui, une révolution dont Jean Lapointe est un témoin, un acteur, un modèle inspirateur.

Avez-vous remarqué que la parabole commence avec une question simple : « Et qui est mon prochain »? Pas une mauvaise question en soi. Mais si elle tombe dans un cœur égoïste, cette question peut devenir : « Qui est vraiment mon prochain? Qui mérite que je m’occupe de lui? Ce BS là? Qu’il travaille, le paresseux! Cette jeune dans la rue? Qu’elle retourne chez sa mère! Cette famille immigrée, qui est un peu perdue à Montréal? Qu’ils retournent chez eux! Ce n’est pas mon problème. Et puis on paie du monde pour s’occuper de ce monde-là. » 

Avez-vous remarqué qu’à la fin la question de Jésus n’est plus la même? La question n’est plus qui est mon prochain. La question est : « Qui s’est fait proche de l’homme dans le fossé ? » Le proche, le « prochain », c’est moi, c’est toi… quand je, tu, nous nous approchons des autres. 

Et ça, c’est Jean Lapointe! J’ai bien entendu son témoignage : l’essentiel, c’est d’être porté vers les autres qui souffrent. 

« Avoir bon cœur, être porté à aider les autres ». Ses paroles toutes nues. Toutes vraies. Voilà ce dont on a besoin dans notre société. Des femmes, des hommes qui ont ce cœur-là. Un bon cœur, comme celui de Jean. Pour arrêter de vouloir tout donner sans vouloir rien perdre. Pour commencer à trouver la joie véritable dans le don de soi-même. Pour changer le monde une personne à la fois. En commençant par changer le monde en moi, un jour à la fois. 

Mais là, c’est vrai qu’on touche au mystère de la vie de Jean Lapointe. Comment ça se fait que Jean a eu ce cœur-là? Qu’est-ce qui a fait que Jean soit tant porté à aider les autres qui souffrent? Dans la parabole, qu’est-ce qui fait que le bon Samaritain s’arrête? 

Mystère de la vie de Jean. Il a sans doute appris ça jeune, dans sa famille, auprès de sa mère et de son père, de ses frères et ses sœurs. Mais d’après moi, il y a autre chose. Est-ce que ça se pourrait que d’avoir été dans le fossé et d’en être sorti, ça ouvre les yeux? Ça ouvre le cœur? Est-ce que ça se pourrait que de vivre chaque jour, conscient de ma fragilité, ça me garde attentif aux fragilités des autres, même si elles sont bien cachées, bien maquillées?

Il y a une révolution et un miracle dans la vie de Jean : comment ça se fait que nos fissures, nos failles, nos craques deviennent une ouverture aux autres? Comment nos blessures peuvent devenir tendresse et compassion? Comment la vérité sur nous-mêmes nous donne l’humilité qui libère pour aimer, pour aider, pour pleurer. 
On va parler de résilience, dans la vie de Jean. Il faut aussi parler de Rédemption : comment ça se fait qu’on puisse parfois aimer mieux, quand on a tant souffert et peut-être même fait souffrir?

Tout ça, pour moi, c’est le mystère de Jean. J’allais dire l’Évangile selon saint Jean. Parce que c’est bien ça… la vie de Jean comme témoignage rendu à ce qu’il y a de plus vrai, de plus essentiel, dans l’Évangile : témoignage rendu à l’amour qui va jusqu’à donner sa vie pour ses amis. 

Mais justement, pour témoigner de la vie de Jean, j’invite maintenant Marie-Josée, sa fille, à nous adresser la parole.

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J’ai dit tout à l’heure qu’on se retrouvait devant le mystère de la vie de Jean. Un mystère, on peut en parler longtemps, sans jamais en faire le tour. Sans jamais l’expliquer complètement. 

Aujourd’hui, on se retrouve aussi devant le mystère de la mort de Jean. Certains vont dire : la mort, ce n’est pas un mystère. C’est une évidence : l’urne, le trou. Jean est disparu.

Pourtant, Jean nous a donné rendez-vous ici, dans une église. Il nous a convoqués à ce rendez-vous spirituel, comme pour nous faire un clin d’œil, plein d’humour. 

Il disait : « Je n’ai pas peur de la mort. Comme je suis croyant, ça ne me fait pas peur du tout. »

Jean avait la foi. Une foi héritée de ses parents, sans doute. Mais une foi enrichie à son expérience de vie. Jean a été lui-même sorti du fossé par la force de l’Amour, par la foi en l’amour. Il y a eu un bon samaritain dans sa vie, qui s’est manifesté par tant d’anges gardiens qui lui ont été envoyés. 

Et ce bon Samaritain, Jean le croit, le sort aujourd’hui du fossé de la mort, du trou de l’oubli. « On ne perd pas son ami, on s’endort un peu avec lui », avait dit Jean au moment de la mort de Félix Leclerc. 

Jean, notre frère, s’est endormi avec le Christ pour s’éveiller avec lui à la vie en plénitude. Pour ouvrir les yeux sur le grand party qu’il a espéré, pour les retrouvailles avec ceux et celles qu’il a aimés. 

Mais, malgré le party, et peut-être le petit verre de scotch avec saint Pierre, il ne nous oublie pas. Si on ferme les yeux, si on fait silence, on va peut-être l’entendre nous murmurer, nous chanter doucement : « Amenez-vous les fleurs malades, ce matin on va au soleil. Oui, c'est au tour des fleurs malades de trouver au réveil, un été sans pareil. »

C’est comme nous dire : « Allez donc aimer. Allez donc aider. Soyez donc des bons samaritains pour les autres. Moi ça m’a aidé d’aider les autres. Moi ça m’a fait vivre de donner de la vie aux autres. Comme l’a dit Jésus dans l’Évangile : fais ainsi, et tu vivras. »