Montréal

Le Grand-Rabbin de France, Haïm Korsia était de passage à Montréal l’été dernier. À cette occasion, la communauté sépharade unie du Québec et la Fédération sépharade du Canada ont organisé une rencontre animé par le journaliste Élias Lévy, au Centre culturel marocain Dar Al Maghrib. Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal et le Dr Faouzi Skali, fondateur du Festival de Fès des musiques sacrées du monde, ont alors commenté l’héritage d’Abraham avec Haïm Korsia.

par Louise-Édith Tétreault

Haïm Korsia

Abraham nous donne l’exemple de l’hospitalité de Dieu. Le dialogue n’est pas une concession à la modernité, c’est ce que Dieu a voulu depuis le début. Comme enfants d’Abraham, qu’est-ce qu’on retire de cette filiation pour construire et transmettre quelque chose? Au Musée de l’holocauste, j’ai vu cette phrase d’Élie Wiesel : « Vivre une expérience et ne pas la transmettre, c’est la trahir. » Quand on entre en dialogue avant même de savoir ce que les autres vont dire, on accepte qu’une part de notre vérité meure pour accueillir la part de l’autre.

Mgr Christian Lépine

Je rends grâce à Dieu pour ces réunions. J’y fais toujours l’expérience d’être heureux ensemble. C’est une bénédiction de Dieu. Parmi les leçons d’Abraham, il y a ceci, que les choses prennent du temps et qu’il faut passer par des expériences d’échecs et de douleurs. La foi est un regard sur Dieu et sur les autres. Je vois les autres comme des frères et des soeurs, parce qu’à la source, il y a un seul Dieu et que nous sommes tous ses enfants, à la fois semblables et différents. J’ai un rêve de paix. Il ne faut pas douter qu’elle soit possible et démissionner. On est fait pour la paix, qui a une résonance dans nos coeurs. On parle trop souvent des autres sans les connaître. Chaque fois que j’ai rencontré des gens sur qui j’avais des idées préconçues, elles sont tombées, et ma perception a changé. J’ai retrouvé en eux des aspirations communes. C’est Dieu lui-même qui nous invite à cette rencontre, où nous avons tant à apprendre les uns des autres.

On parle trop souvent des autres sans les connaître.
-Christian Lépine

Dr Faouzi Skali

L’exemple des huit siècles de convivialité en Andalousie devrait nous inspirer, en particulier le dialogue entre les grands penseurs de l’époque, comme Maïmonide et Averroès. Ils cherchaient à faire vivre la raison et la foi ensemble, l’humanisme et la spiritualité. Ça change tout quand nous sommes face à quelqu’un et encore plus quand nous partageons des moments de vie avec lui. Quand l’autre n’est qu’un objet lointain, nous pouvons tout projeter sur lui et imaginer le pire. II faut passer d’une relation de sujet à objet à une relation de sujet à sujet. Le Maroc a hérité de cette culture du dialogue, comme on peut le voir avec l’invitation au Grand-Rabbin de France dans un centre culturel du gouverne-ment du Maroc, où les juifs marocains sont chez eux. Il faut répondre au désarroi des jeunes, en organisant des rencontres entre nos trois religions, pour faire connaître nos valeurs communes, dont le respect et la dignité. Il faut pour cela des projets concrets. 

La connaissance de l’autre ne se fait pas autour d’arguments. Au Festival des musiques sacrées du monde, on entre en communion les uns avec les autres par la musique, parce qu’elle rapproche. C’est un exemple de communion autour de valeurs spirituelles, sans prosélytisme.

Les algorithmes nous proposent des contenus semblables à ceux que nous avons déjà consultés. Par-là, ils nous enferment dans ce que nous sommes.
-Haïm Korsia

Haïm Korsia

La paix se construit. Ce n’est pas celle des cimetières. David, on lui a dit : Va vers la paix. Ça crée un mouvement et ça suppose l’acceptation d’une imperfection. Pour le judaïsme, la perfection, c’est la perfectibilité, la possibilité d’améliorer les choses. Quand j’ai été élu, avec l’engagement de lutter contre l’antisémitisme, j’ai voulu lutter contre tous les préjugés. Et j’ai commencé par envoyer des prêtres, des pasteurs et des imans dans les écoles juives pour y casser les préjugés. Car, ne nous leurrons pas, nos jeunes ne sont pas exempts de préjugés. Quels sont ceux qui ont rencontré des prêtres, des pasteurs ou des imans ? Ça a surpris les directeurs d’établissements, qui ont tiqué jusqu’à ce que je leur explique que c’était conditionnel à leur contrat d’État, et alors ils ont mieux compris (rire dans la salle).

Les huit siècles de convivialité en Andalousie devraient nous inspirer, en particulier le dialogue des grands penseurs de l’époque, comme Maïmonide et Averroès.
-Faouzi Skali

Et alors, les jeunes ont découvert les autres, et se sont découverts eux-mêmes. C’est la richesse de la rencontre. Tout le contraire de Facebook, qui nous enferme avec ceux qui pensent comme nous. Les algorithmes nous proposent des contenus semblables à ceux que nous avons déjà consultés, et par là nous enferment dans ce que nous sommes. Il faut s’imposer des rencontres extérieures. C’est ce que Dieu a ordonné à Abraham : Sors de Ur, en Chaldée, et va vers une terre inconnue que je t’indiquerai, avec un horizon mouvant.

 

Malek Chebel, Haïm Korsia et Alain Maillard de la Morandais, Les enfants d’Abraham, Presses de la Renaissance, 2011.