Général

Sourcepar Mgr Donald J. Hying  (Traduit par l'Archidiocèse de Montréal)

Lorsque j'étais enfant, un beau tableau du Sacré-Cœur de Jésus était accroché dans la chambre de mes parents. Jésus, un sourire chaleureux aux lèvres, exposait dans ce tendre geste éternel d'invitation son cœur transpercé et couronné d'épines. Chaque fois que je regardais cette image, je me sentais bien - entouré, aimé, soigné - comme si le Seigneur m'invitait à entrer dans sa joie et sa paix. Ma mère avait une grande dévotion pour le Sacré-Cœur; tous les premiers vendredis de chaque mois, nous consacrions à nouveau notre vie à son amour et à sa miséricorde. 

Chaque été, d’habitude au mois de juin, nous célébrons la solennité du Très Sacré-Cœur de Jésus alors que nous nous approchons de la tendre miséricorde et du pardon du Seigneur. Au sens poétique, le cœur est symboliquement le centre de l’humain - nos émotions, nos amours, nos passions, nos désirs, la force de notre volonté. Dans son livre « The Sacred Heart of the World » (Le cœur sacré du monde), David Richo explique : « Notre cœur est le centre moelleux du moi sans ego, et il n'a qu'un seul désir : de s'ouvrir. Le cœur est la capacité même de s'ouvrir.... Il contient la capacité à s’offrir; il est donc l'antidote au désespoir.... La contemplation du Cœur de Jésus nous montre à quel point nous sommes en vérité profonds, à quel point notre capacité d’aimer est vaste, et notre aspiration à la lumière est noble ». 

Dans les Évangiles, le cœur de Jésus est ému de compassion pour les foules (voir Mt 9, 36) et il nous dit qu'il est doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Le Sacré-Cœur de Jésus, qui a commencé à battre dans le sein de la Sainte Vierge il y a plus de 2 000 ans, bat encore aujourd'hui dans l'humanité glorifiée du Christ Ressuscité. Et il battra à jamais, alimentant toute l’humanité de la grâce, de la miséricorde et de la vitalité de Dieu. Dans le Cœur du Seigneur, nous vivons la miséricorde débordante de Dieu et son inépuisable désir d'être en relation avec nous. 

Au cours des siècles, de nombreux chrétiens ont élaboré des images sévères de Dieu et de Jésus comme de redoutables juges, distants des affaires de l’humanité, prompts à punir tout échec moral. La Bienheureuse Vierge Marie et les autres saintes et saints sont devenus des intercesseurs amicaux et accessibles qui s'adressent auprès de Dieu en notre nom, en plaidant la cause des âmes pécheresses et errantes. Le jansénisme, qui était particulièrement répandu en France aux XVIe et XVIIe siècles, accordait trop d’importance à la colère de Dieu, à l'indignité de la nature humaine et à la crainte comme réponse fondamentale devant la divinité. 

Dans ce contexte, les apparitions du Sacré-Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie Alacoque manifestent la nécessité d'une correction théologique et d'un équilibre spirituel dans les perceptions populaires du Christ. Jésus a révélé à cette dernière son cœur brûlant d'amour pour l'humanité. Transpercé et crucifié – tout en nous offrant le salut et la miséricorde - le cœur de Jésus désire ardemment que nous lui offrions notre amour et notre dévotion en retour. Si certaines formes tordues de spiritualité s’étaient concentrées exclusivement sur la punition de Dieu, le Sacré-Cœur mettait l'accent sur la miséricorde. Si de nombreux croyants vivaient dans la crainte démesurée de Dieu, voilà qu’en revanche l'amour et la joie divins se manifestaient. Si Jésus paraissait plutôt distant et inaccessible auparavant, le Sacré-Cœur nous invite à entrer dans la fournaise du divin amour. 

Sainte Marguerite-Marie décrit son expérience avec le Seigneur : « Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande au travers de toi, et qu’il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors ». À la suite de cette révélation, Jésus a uni son cœur au sien dans une fusion d'amour et de joie mystiques. 

Comme nous le rappelle saint Jean, Dieu est amour (voir 1 Jn 4,8), Celui qui se dépouille de Lui-même pour les autres, désirant notre salut éternel, cherchant les perdus et ramenant les brebis errantes au bercail. L’événement entier du Christ est une mission de miséricorde, alors que le Fils, dans une obéissance radicale au Père, s'incarne en notre chair et, ayant proclamé l'Évangile du Royaume, guéri les malades, pardonné les pécheurs et nourri les affamés, en fin de compte, offre sa vie sur la croix. Chaque parole, chaque action, geste ou attitude de Jésus témoigne d’un amour parfait, pur et désintéressé manifesté à l’encontre de chaque être humain. Si l'amour signifie vouloir le bien de l'autre, dénué de tout intérêt personnel, la perfection d'une telle charité nous est révélée dans le cœur ardent du Christ. 

Il ne faudrait surtout pas croire qu’un tel amour soit naïf, simpliste ni facile; le Sacré-Cœur est resplendissant même couronné d'épines, transpercé et saignant. La crucifixion du Christ est le chemin terrifiant qui traverse la vallée des ténèbres et du mal et que Dieu Lui-même parcourt, en étreignant sur son cœur tout ce qui est péché, brisé ou mort, tout ce qui tente de nous séduire afin de nous détruire. En gardant le silence devant ses persécuteurs, en priant pour ses assassins, en aimant le voleur mourant et en demandant le pardon pour les pécheurs, Jésus montre que l'amour inconditionnel, infini, divin de son cœur est l’unique force qui puisse guérir le monde de sa haine, de son péché et de son rejet de Dieu. En assumant Lui-même la totalité du mal humain commis par chaque personne de chaque époque, le Christ fait passer ces ténèbres écrasantes en la splendeur de la Résurrection. 

Geste radical 

Dans le geste radical de la rédemption, le Seigneur agit tel un lutteur d'aïkido, art martial dont le but est de laisser son adversaire désarmé, indemne et étendu au sol en train de rire! En absorbant et en déviant l'énergie négative agressive de l'assaillant, le lutteur d'aïkido désarme l'autre en transformant la violence en une force douce mais ferme qui ne blesse personne, tout en mettant fin à l'agression. N'est-ce pas ce que Jésus a accompli par sa passion et sa mort ? Il a absorbé en Lui-même toute la violence, le mal, la haine et le péché du monde, permettant à ceux-ci de Le tuer et, selon les apparences, de détruire sa force vitale d'amour, de guérison et de paix. Cependant, en absorbant toute cette noirceur, Jésus a acquis son pouvoir dans l’offrande suprême de Lui-même faite au Père sur l'autel de la croix. La mort et la résurrection du Christ, ce sont cette douce absorption, cette déviation et cette puissante transformation de la violence en amour, du péché en grâce, de la haine en pardon et de la mort en vie. Le triomphe du Sacré-Cœur est la victoire ultime de l'amour. 

Dans un discours prononcé devant des évêques italiens, le Cardinal Joseph Ratzinger l'a exprimé ainsi : « Ce que Jésus prêche dans le Sermon sur la montagne, désormais Il le pratique. Il n'offre pas la violence contre la violence, comme il aurait pu le faire, mais il met fin à la violence en la transformant en amour. L'acte de tuer, la mort, est transformé en un geste d'amour ». 

Face à la violence effrayante et sans fin du terrorisme, des fusillades de masse, des abus de toutes sortes et de ce profond manque de respect pour la nature sacrée de la vie humaine, ce n’est que par le Sacré-Cœur de Jésus-Christ que notre société contemporaine pourra trouver découvrant ainsi l'espoir, la guérison et la paix. 

Qu’est-ce que la dévotion au Sacré-Cœur? Comment faut-il la comprendre aujourd’hui? C’est la consécration formelle, c’est l’offrande quotidienne, c’est célébrer l'Eucharistie et du sacrement du pardon tous les premiers vendredis de chaque mois consécutif, c’est exposer et rendre hommage à une image du Sacré-Cœur : voilà quelques-unes des pratiques spécifiques pour exprimer cette dévotion profonde. 

Comme toute consécration religieuse, celle que l’on fait au Sacré-Cœur est une extension de notre engagement baptismal. Dans les eaux du baptême, nous revêtons le Christ - oint de l'Esprit Saint pour vivre comme une nouvelle création dans la vie de la Sainte Trinité - pour adhérer à la bonté de l'Évangile. La consécration au Sacré-Cœur est une manière personnelle et aimante de renouveler et de vivre nos vœux baptismaux. Nous reconnaissons la souveraineté de Jésus dans notre vie, en dévouant notre amour à Celui qui nous a aimés à travers tant de grâces et de sacrifices. Chaque premier vendredi, lorsque ma famille exprimait verbalement le renouvellement de notre consécration, je me rappelais la présence de Jésus, sa protection et sa puissance dans ma vie. Cette prière m'inspirait à tenter d’agir envers les autres comme j’agirais envers le Christ Lui-même. Si vous ne l'avez pas encore fait, songer à consacrer officiellement votre mariage, votre famille, votre foyer et votre vie au Sacré-Cœur. Cela fait une grande différence. 

L'offrande quotidienne est une simple prière au cours de laquelle nous donnons à Dieu notre journée : la prière, le travail, la joie et les souffrances. Cette oblation du cœur renouvelle notre consécration et nous rappelle de vivre dans la sainte conscience que tout ce que nous faisons, disons, apprécions et ce à quoi nous nous engageons doit être un digne retour au Seigneur qui a tant fait pour nous. Je me souviens avoir prié l'offrande du matin à l'école primaire; ce rituel quotidien me rappelait que tout ce que je faisais à l'école, à la maison, dans la cour de récréation, en famille et avec mes camarades de classe comptait pour Dieu – et cela suscitait chez moi le désir d'offrir le meilleur de moi-même. 

À une époque où les fidèles reçoivent peu souvent l'Eucharistie, la demande de Jésus de confesser nos péchés et de recevoir la communion tous les premiers vendredis nous indique que l'Eucharistie et les sacrements sont le chemin de base pour rencontrer l'amour du Seigneur. Dans l'Eucharistie, Jésus se donne entièrement à nous, en pénétrant de manière littérale dans notre corps, dans notre âme et dans notre vie. Et nous entrons dans Celui que nous mangeons et que nous buvons, profondément unis au Christ. Dans le Sacrement de la Réconciliation, nous vivons la miséricorde et le pardon offerts à nous sur le Calvaire - nous vivons la tendre étreinte du Seigneur et la force de guérison du mystère pascal. Avec ces sacrements, Jésus nous attire dans son cœur, nous permettant ainsi de vivre ici l’amour et la joie du Ciel. Toutes les richesses de la vie intérieure de Dieu sont révélées dans le Cœur du Christ et nous sont offertes dans la messe et dans la confession. 

En honorant et en exposant des images du Sacré-Cœur, nous invitons également les autres à faire l'expérience de l'amour de Jésus pour eux-mêmes. La puissance de l’image est évidente - je me souviens toujours de chacun des détails artistiques de cette image dans la chambre de mes parents! On ne peut contempler l’image d’une telle sainteté, de tant de miséricorde, et demeurer indifférent ou ingrat. Un seul regard sur le cœur de Jésus devrait nous attendrir profondément, devrait, nous convertir et nous inciter à donner notre propre cœur en retour. 

La dévotion au Sacré-Cœur n'est ni une magie ni un billet automatique pour le paradis. C'est un moyen sacré qui nous permet de rencontrer la plénitude de l'Évangile, la bonne nouvelle de l'amour salvateur de Dieu répandu pour nous en Jésus-Christ. Au fur et à mesure que nous avançons dans notre connaissance et notre communion avec le Seigneur, nous allons tomber toujours plus profondément amoureux de Jésus, et nous allons vivre cette relation transformatrice et rédemptrice dans chaque aspect de notre vie. Cette dévotion unit notre esprit, notre cœur et notre volonté dans un seul et unique grand acte d'oblation - le don total de nous-mêmes à Celui qui s'est offert complètement à nous et pour nous. 

 

Mgr Donald J. Hying est l’Évêque du Diocèse de Madison, Wisconsin.