Montréal

Voici la quatrième lettre pastorale de l'archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine.

Chers frères et chères sœurs,

Dans un monde qui se construit souvent sans Dieu et qui donne la priorité à ce que l’on peut voir, toucher et mesurer, l’être humain ne cesse pas d’être fait pour Dieu et de chercher un sens à sa vie qui peut résister à l’échec, à l’expérience de la fragilité, à la souffrance et à la mort.

Que reste-t-il d’un sens à la vie basé sur le succès lorsque survient l’échec, sur la santé lorsque survient la maladie, sur la gloire humaine lorsque survient l’humiliation, sur la richesse lorsque survient l’appauvrissement? Comme certains l’ont exprimé, ne peut-on pas dire que c’est le jour où l’on donne un sens à sa mort que l’on donne un sens à sa vie (cf. Saint-Exupéry). 

Que devient le sens de notre vie lorsque notre soif d’absolu et de plénitude de bonheur se projette dans des réalités limitées, dont la somme ne pourra toujours qu’être limitée et nous laisser le cœur vide (cf. Blondel).

Dans un univers où on ne voit que le visible, que la matière, tout finit par périr. Et si tout finit par périr, la vie n’a pas véritablement de sens. « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (saint Paul). Alors que l’on parle de développement durable, ne faudrait-il pas parler de sens durable à la vie? Et pour parler de sens durable ne faut-il pas parler d’éternité, d’une éternité qui se profile à l’horizon de notre vie et vers laquelle nous marchons, d’une éternité qui vient à notre rencontre et que nous accueillons.

L’éternité comme plénitude de vie éternelle, comme existence de Dieu, comme rencontre avec Dieu. Cela pourrait sembler très abstrait, pourtant il n’y a rien de plus concret. Nous faisons l’expérience que vivre dans l’oubli de Dieu conduit à vivre dans l’oubli de l’être humain, de la dignité de la personne humaine dont la vie même a une valeur en soi de la conception à la mort naturelle.

Dieu est Esprit et fonde notre existence en donnant consistance et sens à notre existence et à notre vie. Lorsque l’on ne sait plus ce qu’est l’être humain, homme et femme, c’est un signe que l’on ne connaît plus Dieu. Lorsque l’être humain n’est plus que le fruit du hasard qui se dissout comme une ombre dans la nuit de la mort, cela devient paradoxalement le signe que Dieu existe. 

Lorsqu’il n’y a plus que des sens passagers à la vie, il n’y a plus de sens à la vie. Mais l’être humain résiste au non-sens. Il sait au fond de son âme, au centre de son cœur, à la cime de son esprit qu’il a soif d’une eau durable, d’une eau qui demeure, de vie éternelle. Il a soif de Dieu. Sa soif qui survit à tous les oublis, à toutes les négligences et à toutes les fuites est un signe qu’il est dans le monde, mais qu’il dépasse le monde (cf. saint Jean-Paul II).

S’il n’y avait que la matière, que le végétal, que l’animal, que le corps biologique, il n’y aurait pas de soif d’absolu, d’yeux plus grands que la panse, d’aspiration profonde de tout son être à une plénitude d’existence et de vie, d’amour et de bonheur. Si l’être humain n’était que corps il n’y aurait que des désirs limités. L’être humain oublie son humanité lorsqu’il oublie le désir de Dieu qui l’habite (cf. Henri de Lubac).

N’est-il pas temps de retrouver l’âme qui est esprit ouvert à Dieu, et qui connaît et se donne à travers le corps. Il ne s’agit pas pour l’âme de négliger ou de refouler le corps, comme il ne s’agit pas pour le corps d’oublier l’âme. L’être humain existe corps et âme. « Je suis corps et âme ». Le corps humain est une pure valeur, mais il existe avec l’âme.

C’est dans l’âme que retentissent la soif d’infini, le désir d’un amour qui donne tout, l’espérance d’une fécondité qui porte des fruits, un fruit qui demeure (saint Jean). C’est dans l’âme qu’est mon cœur qui bat et qui veut battre pour toujours (cf. Péguy).

L’âme est invisible, mais elle est pourtant visible. Lorsque je l’oublie, mon humanité s’affaiblit, ma force de vivre et d’aimer gratuitement s’étiole. Comme la faiblesse du corps qui ne respire pas est un signe que le corps est fait pour respirer, la faiblesse de ma vie lorsqu’elle n’aime pas est un signe que la vie est faite pour respirer. Je suis une personne qui existe corps et âme et je suis fait pour respirer corps et âme. Je suis corps fait pour respirer, mais je suis aussi âme faite pour respirer. Le corps est fait pour respirer l’air ambiant. L’âme spirituelle est faite pour respirer Dieu qui est Esprit.

L’âme qui respire c’est l’âme qui prie. Comme en témoignent tous les saints et toutes les saintes, la prière est la respiration de l’âme. Retrouver l’âme c’est retrouver la prière. Retrouver la prière c’est retrouver l’âme. La prière est à la fois l’état et l’acte le plus humble où je me reconnais comme créature de Dieu.

Dans la prière je me tiens devant Dieu, Infini et Éternel, je l’adore en me prosternant corps et âme, je m’en remets à Lui : Dieu Saint je vous adore profondément (cf. l’ange à Fatima), je remets ma vie et mon esprit entre tes mains (cf. la Croix du Christ). Devant Dieu je découvre qui je suis, que je suis créé à l’image de Dieu, que je suis aimé de Dieu et que je suis appelé à aimer Dieu et les autres. Le commandement de Dieu lui-même nous révèle ce qui habite notre cœur, mais que nous n’entendons plus : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même  (cf. Bible).

Lorsque je fais l’expérience que je suis habité par l’aspiration la plus profonde d’aimer d’un amour totalement donné et sans retour, lorsque je fais l’expérience de ce désir jusqu’à en souffrir, jusqu’à avoir mal, je fais l’expérience que je suis une âme assoiffée au plus profond d’elle-même de bonté et de vérité, de beauté et d’unité (cf. Zundel).

Je suis une âme qui est esprit et qui est cœur. Je suis une âme qui anime un corps, un esprit ouvert à Dieu, un cœur fait pour être aimé et pour aimer.

Dans notre dialogue avec le monde, nous réduisons souvent notre parole à ce que nous pensons que les gens sont prêts à entendre. Mais l’être humain ne cesse pas de chercher et il cherche souvent à l’extérieur de lui-même, à la périphérie de son âme, fuyant peut-être sa réalité la plus intérieure, car il pressent que s’il s’y arrête sa vie sera transformée au-delà de ses projets auxquels il est si attaché.

Même si nous avons la foi, peut-être avons-nous, sinon oublié, du moins négligé notre âme, en remettant trop souvent la prière au lendemain. Laissons Dieu nous corriger, laissons l’Esprit-Saint nous conduire à nous tenir devant Jésus-Christ et à l’adorer, laissons Jésus-Christ nous transformer en enfants de lumière (cf. saint Paul), en fils et filles du Père éternel.

C’est à ce prix que nous réveillerons notre âme et que nous pourrons devenir des éveilleurs d’âme dans le monde d’aujourd’hui, quel que soit le qualificatif qu’on lui donne : post-chrétienté, modernité, postmodernité, sécularisme, laïcité.

Les cultures sont différentes et changent, les époques varient, mais l’être humain est toujours un être humain et nous avons besoin de le redécouvrir sans cesse à la lumière de la raison et de la foi. Les sources ne manquent pas dans la Bible, le Magistère et les docteurs de l’Église. Les témoignages ne manquent pas avec les saints et les saintes, la grâce ne manque pas avec Jésus-Christ et le don de l’Esprit-Saint.

Les temps que nous vivons sont des temps où nous sommes appelés à faire retentir le temps du réveil de l’âme. Les jeunes, les couples, les familles et les aînés sont dans l’attente d’une Parole de vie : âmes, réveillez-vous, levez-vous, corps et âmes.

 

† Christian Lépine
   Archevêque de Montréal